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NE TRAVAILLEZ JAMAIS

Enquête sur une directive fameuse

 

Guy Debord considérait que cette devise qu’il aurait écrite en 1953 sur un mur de la rue de Seine était sa plus belle œuvre d’art. S’il la considérait comme aussi importante c’est parce qu’elle exprimait à la fois son refus de la société capitaliste et sa grande capacité à contourner les règles sociales auxquelles tout un chacun semble soumis. En même c’était une manière de faire de la poésie dans la rue, chose encore inhabituelle à cette époque.

Mais Debord a-t-il bien tracé la phrase fameuse ? Lui-même l’a affirmé à plusieurs reprises, mais Jean-Michel Mension dans La tribu[1], entretiens réalisés avec Gérard Berréby prétend au contraire que c’est lui qui en est bien l’auteur, même s’il ne dit pas que c’est lui qui ait pensé cette phrase. Ajoutant qu’il s’en souvenait très bien, mais que ce n’était pas très important. Rappelons que c’est aussi dans cette série d’entretiens que Mension rappelle que Debord s’arrangeait assez bien avec la vérité, notamment en ce qui concerne l’origine de ses revenus. En réalité c’est bien plus important que ce qu’il n’y paraît car si c’est Mension qui l’a tracée, on se demande bien pourquoi Debord s’enferre dans le mensonge. Il aurait très bien pu admettre qu’il en avait eu l’idée et que Mension l’avait tracée. Mais sans doute ne voulait-il pas citer le nom de Mension qu’il faisait mine d’avoir oublié.

Pour en avoir le cœur net, on peut se livrer à la comparaison des écritures et poser à côté de la directive « Ne travaillez jamais », d’une part une inscription de Jean-Michel Mension tracée après la répression de la manifestation des Algériens le 17 octobre 1961 contre l’obligation de couvre-feu imposée aux Algériens au moment de la Guerre d’Algérie, et d’autre part un exemple de l’écriture de Guy Debord emprunté à l’ouvrage Le marquis de Sade a des yeux de fille, publié en 2004 par les éditions Fayard. Ce dernier exemple d’écriture de Debord date du tout début des années cinquante. Il est d’ailleurs bizarre que personne n’ait eu cette idée.

On a isolé ensuite les inscriptions et elles semblent montrer que « Ne Travaillez jamais » et « Ici on noie les Algériens » ont été écrites de la même main. Elles diffèrent de l’écriture de Debord sur plusieurs points. Les S, les I, les A, les N et les E ne sont pas semblables à l’écriture de Guy Debord.

 

 

Phrase écrite au début de l’année 1953 sur un mur de la rue de Seine et revendiquée par Guy Debord

 

 

Phrase écrite par Jean-Michel Mension en octobre 1961

 

 

 

 

Egalement si plusieurs lettres dans la graphie de Debord penchent nettement à droite, notamment les N, dans les deux premières inscriptions, elles semblent aller vers la gauche. La barre du milieu du E chez Debord a tendance à s’affaisser vers la droite, ce qui n’est pas le cas dans les deux premières inscriptions où elle est plus droite, voir part légèrement vers le haut.

Nous ne sommes pas expert en graphologie, et nous nous garderons bien de conclure de façon définitive. Mais la visualisation de ces trois exemples d’écriture dont deux sont clairement identifiés, nous paraît donner raison à Mension.



[1] Publié en 2004 aux éditions Allia.

 



18/09/2012
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