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HERVE FALCOU ET L'AVANT-GARDE

H. Falcou qui fut le condisciple de Debord au lycée Carnot de Cannes écrivit un article sur l'avant-garde dans lequel il parlait entre autres choses de l'IS. Ce qui ne plut pas vraiment à Debord. Voilà cet article.

 

Aux yeux de l’histoire


On a lu Sade, Hitler, le Zen et le pseudo-Mao.

Il y a du courage à écrire sur les revues en marge, à tirage restreint (encore que l’édition en soit souvent luxueuse) et peu lues. Non seulement à cause de leur abondance : l’amateur de dévastation, d’a-littérature et d’humour convulsif serait péniblement surpris de savoir quels trésors il néglige chaque moi faute d’initiation. Mais surtout à cause de l’extrême férocité de leurs rédacteurs, qui promettent invariablement aux critiques naturellement imbéciles et malhonnêtes (le plus souvent les deux à la fois) de leur faire la peau ou pis, de les déchirer intellectuellement pour l’éternité au prochain numéro.

Une considération seulement m’a décidé à hasarder ma vie et à affronter le ridicule de la postérité : ce que les revues haïssent le plus, c’est le silence, sous la forme de la célèbre conspiration. Car il est clair que la lecture à radio-Luxembourg d’un fragment du « Tombeau de Pierre Larousse » de François Dufrène (ultra-lettriste, Revue – Grâmmes) :

HORBI etturBi – Jojé titurBI ;

VALerilarBO – VALerilarBI.

VALôris BOléröleyRIS LOuLEY ;

Lörel ôzIOL etarDI !

ferait croûler les murailles de Jéricho.  

Encore est-il de mon devoir d’attirer l’attention du profane sur l’expressionisme facile d’un tel texte. L’ultra-lettrisme se compromet gravement avec le sens et flirte avec le calembour culturel.

Moins frelatée apparaît la revue lettriste tout court (qui compte encore en son sein Isidore Isou), ce dont témoigne le sonnet des voyelles de Jean-Louis Brau :

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On conçoit que des textes aussi percutants puissent terroriser, pour peu qu’audience leur soit donnée, le monde des arts et des lettres et faire courir les plus graves périls à l’organisation sociale de l’Ouest et de l’Est.

 

Les cosmonautes

 

C’est aussi le redoutable programme des « Lèvres nues », revue qui fut l’ébauche un peu timide, il est vrai, de « L’Internationale Situationniste » : « Par « révolution mondiale », il faut comprendre ici, très exactement, le renversement du capitalisme dans tous les pays du monde où ce renversement n’est pas accompli… Par « immédiate », il faut entendre que le programme que nous allons exposer s’inscrit dans une période fixée à un an ; délai approximatif au-delà duquel il serait oiseux d’escompter sa réussite, celle-ci étant obligatoirement tributaire d’une action intense et rapide ». (Théorie de la révolution mondiale immédiate).

Mais dans « L’internationale situationniste » je relève d’autre part ce propos de Uwe Jansen[1] : «  Les situationnistes ne sont pas cosmopolites. Ils sont des « cosmonautes ». Ils osent se lancer dans des espaces inconnus, pour y construire des îlots habitables pour des hommes non-réduits et irréductibles ».

Bravo. A lire ces revues, le profane pour qui j’écris ces lignes pourrait croire que d’inexpiables querelles les opposent, ou s’attendre à voir clairement paraître entre elles des abîmes d’oppositions théoriques ; et plus modestement de notables différences d’intérêt. Point. C’est morne[2], les excommunications se font sur des vétilles et les haines sont d’autant plus ardentes que les différences sont moindres.

Bref à l’intelligence et au talent près des collaborateurs, il est aisé de faire un petit inventaire des attitudes « basiques » des revues ex-maudites :

1. Chaque revue est consciente de son infaillibilité au point que les prétentions de Pie IX  lui-même apparaissent comme des jeux d’enfant arriéré ;

2. L’humanité est divisée en deux catégories : les adeptes et les réfractaires (raisons diverses, mais également déshonorantes). Les adeptes risquent l’exclusion. Mais pour les réfractaires, ce sera la fête, un jour ou l’autre et selon ttoutes les modalités imaginables. (On alu Sade, Hitler et le pseudo-Mao Tsé-toung).

3. le manque d’audience d’une publication est le critère absolu de sa génialité. Il est même étrange et à mon sens défaitiste que certaines publications aient recours aux services de talents éprouvés comme celui de Magritte. Cette proposition sommaire repose d’ailleurs sur une argumentation historique implicite certes, mais non dépourvue d’efficacité : le comte de Nieuwerkerke a déclaré que la peinture de Courbet était le fait d’un dégoûtant sauvage. Et qui a eu l’air fin aux « yeux de l’Histoire » ? C.Q.F.D.

4. Contrairement à ce que pensait Marx, l’ignorance est presque toujours une qualité : elle permet au moins d’être neuf, en dépit du Zen, de Jarry, de Dada et du surréalisme.

 

La belle Hélène

 

5. La littérature, la philosophie, la mathématique et plus généralement tous les arts et toutes les sciences, humaines ou non, se résument, sauf à n’être rien, dans la poésie. Sur la définition de celle-ci, il faut avouer que les doctrines différent essentiellement :

a) des groupuscules attardés au langage prétendent couler les explosions galactiques de la liberté absolue et de la surréalité scientifique dans des formes poétiques auxquelles ils croient encore.

 

Nous fuyons les néons

Les banlieues de bidon

Aux vapeurs malsaines

Nous partons chercher la belle Hélène

Au fond des bordels

                        (Le Taureau)

 

Il est clair que ces messieurs n’ont qu’une idée livresque de l’amour vénal.

b) la masse de l’avant-garde, quoique cruellement divisée, a reconnu que la poésie, comme forme d’art, était morte (je ne fais pas d’allusion désobligeante à des textes antérieurs). Mais elle reste une valeur à réaliser dans diverses manifestations qui expriment seules son essence vraie : la page vierge ; le scandale ; à la rigueur l’expression vocalique ou consonantique – qui peut-être le prétexte de fâcheuses compromissions.

 

6. L’humour, vert par exemple, compte parmi les moyens privilégiés de la subversion. Mais ceux qui se défient de l’humour – les situationnistes par exemple – prodiguent pourtant le meilleur :

« Au mois d’octobre 1962, le dernier concile catholique a commencé à Rome. »

Pour les autres, l’application humoristique conduit à de rigoureux recueils où l’ennui mortel est de règle – pour le profane évidemment. Ainsi lisant « Phantomas » j’ai songé à cette dame de « L’assommoir » qui faisait sans cesse des plaisanteries obscènes si subtiles qu’elle seule s’en régalait. Et j’ai sangloté de ne pas être dans le coup.

 

 

 

7. La subversion poétique et humoristique étant totale et totalement en avance sur le siècle, elle en néglige évidemment les querelles contingentes. Les scissiparités du lettrisme par exemple éclipsant comme le soleil dans sa gloire le fait de l’ombre, tous les événements mineurs : guerre d’Algérie et le Référendum, crise de Cuba et coexistence, etc.

8. Toutes les formes d’expression étant foutues et celle-là même dépendant d’une société également foutue et abominable, il urge de changer la dernière au profit des premières. Il semble que dans un nombre de cas on fasse confiance au verbe, ou plus terriblement à l’absence de verbe. Tremble qui pourra : la menace est grave.

9. Un appétit absolu – quoique férocement caché – de succès, rend dérisoires tous les moyens de sa réalisation. Toutes les presses et toutes les radios mobilisées ne suffiraient pas à vociférer ce silence. Souhaitons qu’il soit un jour entendu.

Mais pour ce faire, je rappellerai aux maudits en mal de triomphe impérial ces abominables paroles de Baudelaire : « Oui, monsieur, les temps sont mauvais et corrompus ; mais la bonne philosophie en profite sournoisement pour courir sus à l’occasion, et ne perd pas son temps aux anathèmes. »

 

Hervé Falcou

 

Ce texte appelle de nombreux commentaires. Le premier est qu’il explique au fond pourquoi Falcou n’a pas poursuivi sa fréquentation des avant-gardes. Les critiques qu’il lui adresse sont celles qu’on peut adresser à tous les mouvements d’avant-garde depuis au moins l’apparition du mouvement surréaliste. Non seulement elle est coupée des masses et de la réalité – c’est bien aussi cette critique que la Parti communiste adresse à Breton et aux siens – mais sa prétention à subvertir l’ordre bourgeois par l’activité poétique au sens large prête à rire. Cette position de Falcou est d’autant mieux à sa place en 1963, qu’elle s’inscrit dans une France qui se transforme positivement sur le plan économique et qui accède à la société de consommation. Le pessimisme d’avant-garde apparaît alors en décalage avec la réalité. Le second commentaire est que Falcou ménage l’Internationale situationniste : il leur accorde que parmi les avant-gardes, ils sont plus originaux que les débris du mouvement lettriste dont il ridiculise la volonté de révolutionner la poésie – mais au passage Falcou approuve le fait que la poésie n’est plus un moyen d’expression à envisager.

Pourtant cette relative bienveillance de Falcou vis-à-vis du mouvement de Guy Debord ne va pas ravir ce dernier, bien au contraire, il en prend ombrage. Il est vrai que la façon dont Falcou se moque de Uwe Lausen qu’il transforme en Uwe Lansen, est assez facile. Dans une lettre à Vaneigem, datée du 1er avril 1963, il écrit : « A propos de l’Express, il est tout à fait exclu de répondre dans l’actualité, pour diverses raisons dont René pourra t’exposer quelques-unes (j’ai connu il y a longtemps ce Falcou). Nous trouvons, bon an, mal an, que ce genre de citation est un bon signe (le moment où les « spécialistes » commencent à vouloir valoriser leur spécialisation même de critiques modernes en montrant qu’ils connaissent ce qu’ils ont d’abord caché), et même sans doute publicitairement positif. Bien sûr, il est tout de même bon d’écrire un texte sur les « témoins de leur temps », mais pour le sortir avec du recul. Traitant alors ce thème « de quelle façon dérisoire est apparue l’I.S. dans la critique culturelle spécialisée – par rapport à tout ce qu’il y avait à en dire. »

Comme on le voit au ton de la lettre, c’est la déception qui domine, même si elle renvoie Falcou à un rôle de critique spécialisé. Debord sait très bien à quoi s’en tenir avec lui. « ce Falcou » le dérange essentiellement parce qu’il ne partage plus son programme subversif, ce qui introduit naturellement le doute sur sa poursuite et ses chances de succès.



[1] Pour Uwe Lausen.

[2] Je ferais une exception pour « L’Internationale situationniste » dont les rédacteurs disent tragiquement bien des banalités, mais souvent aussi des choses effectivement intéressantes et vraies.



04/11/2012
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